Accueil

La Question Existentielle

– Et tu aimes bien aller à Maclas ?
– J’adooore ! répond-il comme dans la pub consumériste de Centrakor.
– Et pourquoi ?
Sa langue pointe entre ses lèvres tandis qu’il prend l’air extatique du gars qui vient de goûter une mûre. Dans ses yeux, une lueur s’allume. Bref, il est Heureux avec un hache majuscule pour trancher dans le bonheur.
Bien sûr, pour commencer, il aurait certainement parlé du chapi, pas celui de la chanson Chapi Chapo ♪♩ patapo, mais celui de ♫Maclas pitipa♩. C’est un peu la barbacane d’un Châteaufort. Impressionnant, il se dresse devant vous autant pour vous accueillir que pour vous dissuader d’approcher. Mais une fois que vous avez montré patte blanche, c’est gagné, vous êtes adopté.
Ensuite, il aurait sans doute poursuivi en décrivant la maison avec son terrain qui s’enroule autour comme une écharpe de parfums sonores. De l’herbe, des plantes, des couleurs, des insectes, des tas de bestioles invisibles. Ça grouille de vie là-dedans !
Ici, tout est grand, le terrain et le cœur des gens. Alors il t’aurait invité à entrer. Maintenant, je vais te tutoyer, aurait-il proposé. Ça ne te dérange pas ? Mets-toi à l’aise… pas trop quand même, garde ton slip, on ne sait jamais. Suis-moi sur la pointe des pieds pour ne pas déranger le silence. Partout, il y a des pièces et des couloirs, des pièces encore, des portes qui se ferment et qui s’ouvrent. Tu peux escalader, te connecter, dormir, t’asseoir, manger, boire, lire, chanter ou jouer d’un instrument, te reposer, t’essayer aux jeux vidéo, regarder un film sur grand écran ( je te l’avais dit, ici tout est grand )… et si tu veux, tu peux ne rien faire…
Voilà ce qu’il aurait pu dire, mais ça n’aurait pas été suffisant. Alors, il préfère se taire et convoquer les habitants, dans sa tête, juste pour le plaisir. Il y a Alex. Il est toujours décoiffé. C’est sa façon à lui d’être à l’écoute, d’être en dehors du système, façon systema. Il est cool. S’il te regarde, tu es touché. Touché coolé, dans sa bataille navale sans destroyer. Et pas loin, il y a Emilie. Elle a les poches pleines de fruits et de légumes. Un peu courbée, ( la terre est si basse) elle passe son temps à gratter le globe, à le chatouiller, mais quand elle se redresse et qu’elle te sourit, c’est parti !
Ensuite, il y a Stéphanie. Elle conduit un drôle de carrosse qu’elle a piqué à la Poste. Elle transporte des extraits de plantes avec des noms que personne ne comprend et qui font un peu peur. Si t’as mal quelque part, elle te répond en latin et après ça va mieux. C’est comme ça qu’elle a envoûté Victor. Lui, il parle tout bas. Il cherche tout le temps des réponses. Pourquoi ? Comment ? Il déchiffre des articles avec des mots gigantesques écrits tout petit. Mais quand il aura trouvé, ça va chier !
Il y a aussi Simon. C’est le duc des pièges ( le grand-duc). Il attrape tout le monde en photo. Tout ce qui a des poils ou des plumes, ça l’excite grave ! Il en a toute une collection qu’il montre aux petits enfants, les soirs de pleine lune, une guitare à la main, l’accordéon dans l’autre. Et c’est là qu’elle apparaît parfois, Manon. Elle, son truc c’est de chanter le monde. C’est une artiste. Alors forcément, elle va, elle vient. A droite, à gauche. Plus à gauche qu’à droite d’ailleurs. Elle rencontre des gens qu’on voit parfois à la télé ou au cinéma (elle est super copine avec Pierre Niney).
Enfin, il y a Tim. C’est le plus beau. ( t’y es beau mon fils !) Son hobby, c’est la bricole. En factotum éclairé, il veille à ce que tout fonctionne. Quand il n’escalade pas la vie, il visse, il dévisse, il cloue, répare, invente. Mais son véritable truc, c’est d’aimer les gens. Et il le fait sacrément bien.

Voilà, une fois de plus, il a fait le tour dans sa tête. Le grand tour, silencieux, moins grand que le Tour de France, mais bien plus prestigieux. Et dans celui-là, il n’y a ni perdant ni gagnant. Juste des jeunes qui avancent ensemble pour remporter la victoire de la vie.

Comme il n’a toujours rien dit et qu’il affiche toujours ce sourire béat, l’autre s’agace un peu.
– Alors tu n’as toujours pas répondu.
Il prend un air grave cette fois. Un de ces airs mystérieux à la Columbo, celui qui sait, mais qui ne veut pas en dire plus.
– Tu veux savoir si j’aime bien aller à Maclas. Je ne sais pas… Mais toi, si tu veux savoir, tu n’as qu’à y aller et tu sauras…

De retour du festival de la Tuilière, le 14 août 2023…